Marc Pradal est dirigeant de l’entreprise normande Kiplay, spécialisée dans la fabrication de vêtements professionnels et prêt-à-porter Made In France haut de gamme, et Président de l’UFIMH (Union Française des Industries Mode & Habillement). Son expérience de dirigeant d’entreprise alliée à sa connaissance de la filière textile, mode, cuir en font l’interlocuteur idéal pour nous expliquer les liens entre formation et évolution stratégique des entreprises de l’industrie Mode et Luxe, dont l’attachement au Made in France va croissant.

 

Mille &1 Formations : S’il n’y avait qu’un élément à retenir pour comprendre Kiplay aujourd’hui, quel serait-il ?

Marc Pradal : Kiplay fêtera son centenaire l’an prochain. Mais la dernière évolution majeure est très récente, elle est intervenue au cours des 5 dernières années. Nous avons opté pour une stratégie de refabrication en France. Nous sommes allés chercher de nouveaux marchés haut de gamme avec une fabrication Made In France afin de conserver notre savoir-faire ancestral.

Auparavant, Kiplay était une marque mais n’était pas façonnier. Tout notre prêt-à-porter était fabriqué à l’étranger. Pour maîtriser le savoir-faire à nouveau et répondre aux nouvelles exigences du marché, nous avons dû repartir de zéro en France : recréer un atelier adaptable à la demande et investir dans des machines au goût du jour, qui permettent plus de souplesse, de rapidité et bien sûr de qualité.

M&1 : Et côté salariés ? 

M. P. : Justement, pas de nouveau départ sans collaborateurs ! Nous avons réembauché et cela nous a rapidement amenés à la question de l’intégration de ces nouveaux collaborateurs et de leur formation.

Dans un premier temps, nous avons opté pour un processus classique de recrutement. Nous misions sur des recrutements plutôt juniors. Nous avons posté des annonces et nous sommes rapprochés des écoles. Mais l’intégration nous semblait longue. Nous avons alors mis en place le tutorat, à travers le dispositif-emploi PRODIAT de notre OPCO d’alors, OPCALIA (devenu AKTO aujourd’hui). Mille &1 Formations a assuré pour nous la maîtrise d’œuvre du dispositif : l’entraînement pédagogique de nos formateurs internes et le suivi de la montée en compétences des salariés recrutés par ce biais.

M&1 : Quel bilan tirez-vous aujourd’hui du recours à ce dispositif de formation-intégration ?

M.P. : Cela a très bien fonctionné et s’est traduit concrètement par un regain de motivation chez les salariés séniors et d’intérêt chez les jeunes. Au-delà, je dirais même que cela a été un choc culturel, au sens positif du terme : notre regard sur les générations Y et Z a changé. Alors que nous les croyions moins adaptables que leurs aînés à la culture d’entreprise, nous avons découvert qu’elles étaient surtout capables de remettre en question les habitudes ancrées des générations précédentes. Et cette prise de distance est porteuse de renouvellement des pratiques. C’est tout à fait positif.

Aujourd’hui, le profil type du collaborateur chez Kiplay est le suivant : il ou elle a entre 35 et 45 ans, il ou elle est polyvalent(e) et a signé son premier CDI chez nous. D’où l’attachement de nos collaborateurs à notre entreprise, malgré un point délicat, qui est valable globalement pour toute la profession : des salaires modestes et une progression salariale limitée. Heureusement, nous avons d’autres atouts comme la passion du produit et des conditions de travail agréables, qui nous permettent de rester attractifs et de répondre à nos besoins de recrutement.

M&1 : Quels éléments mettez-vous en avant pour attirer et fidéliser vos collaborateurs ?

M.P. : Nous avons une bonne image, nous jouissons d’une réputation locale dans le bassin de Flers, où nous avons deux boutiques. Et nous investissons réellement dans le bien-être des salariés et dans la Responsabilité Sociétale et Environnementale.

Les conditions de travail ont beaucoup évolué dans notre profession. Aujourd’hui le travail à la chaîne est terminé, c’est la polyvalence qui est de mise, et la production de petites séries, avec en toile de fond le retour au Made in France. L’atelier n’a plus rien à voir avec les ateliers d’autrefois. Il est plus petit, plus lumineux, plus confortable.

Chez KIPLAY, nous avons même mis en place une « zen room » et nous aurons bientôt un jardin collaboratif. Nous proposons également à nos collaborateurs des aménagements d’horaires.

Mais tout cela serait anecdotique si nous n’accordions pas de place au dialogue. Chaque jour, il faut être à l’écoute, ouverts. Nous ne pouvons pas nous permettre d’être rigides. Une entreprise doit être mobile, sans quoi elle risque de s’écrouler en cas d’évolution du marché.

Par exemple, en tant que façonnier, nous produisons nos propres produits, mais aussi les produits d’autres marques, par exemple les pantalons et shorts pour la marque Le Slip Français. Cela nous a conduits à devoir faire preuve de plus de réactivité, pour respecter les délais. C’est une autre façon de travailler, avec l’écoute client au cœur de notre action.

M&1 : Quel rôle joue la formation dans cette mobilité de l’entreprise que vous revendiquez ?

M.P. : La formation est un axe stratégique pour nos entreprises. C’est la pérennité du savoir-faire qui est en jeu. Chez Kiplay, nous misons beaucoup sur la transmission des savoirs en interne.

Cela s’inscrit pleinement dans la Gestion Prévisionnelle de l’Emploi et des Compétences. Pour assurer le renouvellement des générations, nous anticipons les départs à la retraite en organisant des binômes pour assurer la passation, pendant deux ou trois mois.

L’un des marqueurs de l’ADN de KIPLAY, c’est de prendre le temps quand c’est nécessaire. Nous proposons une mode authentique, à l’opposé de la « fast fashion ». Cela se retrouve dans les rapports humains et le management au sein de notre entreprise.

De plus en plus, nous formalisons, structurons et valorisons ces actions de formation interne, à travers des supports notamment. Nous mettons aussi en place des actions de formation externes ponctuelles sur des sujets transverses : formation de formateurs pour permettre la transmission des savoirs en interne justement, ou formation à la gestion de la relation clients pour nos commerciaux et acheteurs.

M&1 : Vous êtes Président de l’UFIMH. Qu’en est-il du sujet de la formation au sein de la filière ?

M.P. : J’ai d’abord été Président de Normandie Habillement. Très vite, je me suis aperçu que le seul sujet qui intéressait vraiment tous les adhérents était la formation. Dans notre profession, la formation représente le présent et le futur des entreprises. C’est pourquoi elle a toujours été au cœur de mon action. En partenariat avec la région, nous avons lancé le BTS « Métiers de la mode » en alternance à Vire.

Aujourd’hui, à l’échelle nationale, en tant que président de l’UFIMH, je vois cet intérêt pour la formation se confirmer. C’est l’un des deux axes de notre Contrat Stratégique de Filière (CSF) où je participe, l’autre étant de renforcer l’attractivité des métiers de la mode et luxe via la compagne « Savoir pour faire ».

Sur le plan de la formation donc, nous allons travailler main dans la main avec le nouvel OPCO de rattachement de la filière, OPCO 2I où je suis administrateur.

Selon moi, nous devons travailler dans deux directions :

– le partage d’expériences entre entreprises de la filière via les outils du numérique que sont les tutoriels et les webinars
– et encore une fois le maintien du principe du dispositif emploi-formation, si important pour le recrutement et l’intégration de nouveaux collaborateurs dans nos entreprises

L’importance de la formation est indéniable dans la maîtrise du savoir-faire, si chère notamment à la haute couture. Elle l’a démontré en s’investissant dans l’Institut Français de la Mode, qui ne cesse de monter en qualité, et en reconstruisant des usines en France.

Bref, la formation est essentielle pour la pérennité de nos entreprises et de notre savoir-faire reconnu mondialement !

L’image forte de la France à l’étranger est associée à ce savoir-faire si particulier. Le salon du Made in France qui se tiendra les 1er et 2 avril prochains, en donnera une nouvelle fois une démonstration. Nous serons d’ailleurs ravis d’y accueillir Brune Poirson, secrétaire d’Etat à la Transition écologique et solidaire.